Corps de femme, un terrain de domination : chronique d’un système sexiste
Mégane Arseneau, correspondante
Si la médecine prétend être objective, universelle et neutre, elle reste pourtant profondément marquée par les logiques de domination. Historiquement façonné par le patriarcat, le savoir médical a invisibilisé les femmes, réduit leur corps à des fonctions reproductives et légitimé des violences systémiques. Cet article explore comment le corps féminin est devenu un terrain de contrôle, de silences et d’exclusions. Une plongée dans les racines sexistes du savoir médical.
La médecine, tout comme de nombreux champs de compétence de notre société, a été – et demeure – façonnée par des structures patriarcales. Une réalité aux conséquences violentes sur la santé des femmes, notamment en ce qui concerne les soins, les diagnostics et la recherche. Historiquement, le savoir médical a exclu les femmes, tant dans la construction des savoirs que dans leur pratique, perpétuant ainsi des inégalités systémiques à l’égard de la moitié de la population mondiale.
Mais le patriarcat ne s’est pas contenté d’exclure : il a dominé. Il a transformé le savoir médical en instrument de contrôle, particulièrement dans les domaines de l’obstétrique et de la gynécologie. Il est ironique – voire cruel – que les disciplines censées accompagner l’émancipation des femmes soient aussi celles qui ont contribué à leur oppression.
Alors, dans un tel contexte, comment (re)donner aux femmes le pouvoir sur leur corps et leur santé ?
Corps colonisés, savoirs dominés : Aux origines de la médecine de la domination
L’activité interactive Corps colonisés, savoirs dominés : Aux origines de la médecine de la domination, présentée lors du Forum Social Mondial des Intersections (FSMI), nous invite à réfléchir sur les violences systémiques ayant influencé, hier comme aujourd’hui, les pratiques obstétricales et gynécologiques.
Ce n’est pas nouveau : l’organe reproducteur féminin a longtemps été dénigré par la médecine, souvent perçu comme source de troubles psychiques et physiques. Le mot hystérie, dérivé du grec hystera (utérus), en est un symbole fort. Utilisé dès l’Antiquité par Hippocrate pour désigner des pathologies prétendument propres aux femmes, il illustre la manière dont la pathologisation du corps féminin a nourri des croyances médicales sexistes persistantes.
La violence passe aussi par les mots. Ceux-ci influencent les représentations sociales, les relations et les comportements. Le langage médical, loin d’être neutre, est un puissant outil de pouvoir, capable de façonner une vision du monde… souvent au détriment des femmes.
Cette vision a historiquement exclu les femmes du domaine médical. Autrefois, les sages-femmes et guérisseuses jouaient un rôle central dans les communautés. Leur savoir empirique leur conférait un pouvoir, perçu comme une menace par les systèmes patriarcaux. L’exclusion des femmes du savoir médical s’est alors accompagnée de leur persécution : la chasse aux sorcières en fut l’expression la plus brutale.
Et cette exclusion continue d’avoir des conséquences aujourd’hui : les savoirs liés au corps féminin restent largement invisibilisés dans la science. L’un des exemples les plus frappants : le clitoris n’a été représenté dans son entièreté dans un manuel français qu’en 2017 ! Une illustration frappante de la négligence scientifique envers les corps féminins.
Construire un savoir médical sur la prémisse d’une infériorité biologique des femmes revient à justifier leur invisibilisation, leur infantilisation et leur contrôle.
Mais cette domination ne s’arrête pas là : certaines femmes subissent également des violences croisées, à l’intersection du sexisme, du racisme et du colonialisme.
Les violences obstétricales et gynécologiques prennent alors racine dans l’histoire coloniale : médicalisation forcée, stérilisations non consenties, avortements imposés… Ces violences ne sont pas de simples « erreurs » du passé, mais les manifestations concrètes d’un système de domination.
Rappelons qu’à une époque, le statut d’esclave était transmis par la mère lors de l’accouchement. Cela faisait de l’utérus des femmes noires un territoire public, exploité au profit des colons. Et plus récemment, cette logique perdurait toujours : l’Alberta et la Colombie-Britannique ont légalement autorisé les stérilisations forcées de femmes autochtones, sans leur consentement jusqu’en 1972.
Comprendre cette histoire est essentiel pour dénoncer la légitimation actuelle de pratiques médicales archaïques et discriminatoires.
C’est ce passé, toujours actif, qui explique pourquoi l’accès à l’information sur le corps féminin demeure difficile. Ce manque de connaissances en santé féminine est structurel, non accidentel.
Comme le souligne Kimberlé Crenshaw, les violences médicales s’inscrivent dans un système d’oppressions croisées : elles se cumulent selon le sexe, la race, la classe sociale ou encore le statut migratoire.
Il va sans dire, les racines du patriarcat sont plus vastes, plus profondes et plus enracinées qu’il n’y paraît…
Il ne s’agit plus de demander une place dans un système médical qui a été conçu sans – et contre – les femmes. Il s’agit d’en reconstruire les fondations, en redonnant voix, pouvoir et savoir à celles qui en ont été privées. Il faut collectivement prendre conscience des biais sexistes et racistes dans la médecine, c’est ainsi qu’une transformation réelle des pratiques de soin pourra s’effectuer. Pour y arriver, il faudra forcément avoir de l’écoute des expériences vécues, de valoriser les savoirs oubliés, et adapter les formations des professionnels de la santé aux inégalités systémiques. Ce combat est collectif, transversal, et profondément nécessaire, car tant que la médecine continuera à reproduire les logiques patriarcales, elle échouera à soigner réellement la moitié de l’humanité. Il est temps d’exiger une médecine féministe, décoloniale et émancipatrice.